Si l’entrepreneuriat est tout sauf un long fleuve tranquille, l’histoire de Aris Kumeso nous montre que pour naviguer au travers de ces flots mouvementés, la raison d’être et la persévérance d’un entrepreneur constituent des socles majeurs qui lui permettront de maintenir le cap et de « s’accrocher à la barre de l’optimisme, seul courant porteur de réussite pour lui-même et son entreprise »[1]. Ancrage familial, partage culturel et parcours entrepreneurial fait de hauts et de bas, on vous emmène à la rencontre du fondateur de Yaka Afrotoria, un entrepreneur passionné qui a réussi le pari de faire découvrir la cuisine afro-subsaharienne aux Liégeois … Et plus encore.
Ingénieur chimiste diplômé d’un master à l’Université de Liège, c’est en 2017 que Aris Kumeso décide de lancer son projet afin de mettre en valeur son héritage congolais, et plus largement la gastronomie culinaire de l’Afrique subsaharienne, une cuisine aussi méconnue que diverse :
« J’ai toujours eu envie de partager la richesse culturelle de l’Afrique. On peut partager sa culture au travers des livres, du cinéma ou de la peinture … Mon truc à moi, c’est l’art culinaire. Comprendre l’héritage d’une région ou d’un pays passe essentiellement par sa cuisine, par le plaisir de manger. Or, ici en Belgique comme dans beaucoup d’autres pays d’Europe, la gastronomie africaine est méconnue et empreinte de clichés. L’Afrique n’est pas un pays, mais un continent qui contient les richesses de 63 nations culturellement différentes, dont les divergences se ressentent en cuisine. Souvent, les ethnies africaines sont mises dans le même sac sans aucune distinction. La cuisine africaine ne se limite pas à du riz, au manioc, au poulet ou aux bananes plantains. Et même si c’est très bon, la culture culinaire est en réalité bien plus vaste. »
Une cuisine haute en couleurs que Aris a décidé de partager aux Liégeois, avec un focus particulier sur l’Afrique subsaharienne empreinte d’une touche personnelle et familiale congolaise.
Le saviez-vous ? Si les secrets de la gastronomie africaine sont encore si peu répandus aujourd’hui, c’est qu’ils se transmettent encore essentiellement par tradition orale, de génération en génération. Les recettes n’ont été écrites que beaucoup plus tard dans l’histoire.
Aris est convaincu que l’art culinaire est un vecteur puissant d’une société plus tolérante, qui célèbre les différences culturelles :
Pour pouvoir vivre ensemble, il faut qu’on apprenne à se connaître. L’identité belge est aujourd’hui multiple : nous portons tous en nous, qu’on le veuille ou non, un héritage culturel qui nous façonne et qui mérite d’être davantage mis en lumière. C’est pour cette raison que j’ai eu envie d’être entrepreneur et restaurateur, c’est ça, ma raison d’être. Yaka, c’est une manière pour moi de montrer aux gens que ces différences sont riches, en les invitant autour de ma table.
Le terme Yaka provient d’ailleurs du lingala, une langue bantoue parlée en République du Congo qui signifie « Viens, avance, approche-toi ! « [2].
Si aujourd’hui ses livraisons à domicile et son restaurant situé rue de la Madeleine rencontrent un vif succès, sa mise en place relève d’un long parcours du combattant. C’est après une expérience de stage au Congo et une fois revenu en Belgique qu’il a l’idée de se lancer dans la restauration. Il décide alors d’intégrer le VentureLab en avril 2017 pour structurer et concrétiser son projet.
« Avec Charles Piette, mon coach, on s’est dit qu’une première bonne expérience serait de tester le service de chef à domicile. Une expérience qui a confirmé mon intérêt pour la restauration mais qui était très énergivore en termes de temps, pour finalement peu de rentrées financières ».
Une organisation pas simple à mettre en place, d’autant plus qu’Aris travaille en parallèle à temps plein en tant qu’ingénieur. Avec Maxime Renard de la Table Conviviale, Aris change alors de cap et se tourne vers la création d’ateliers culinaires :
« Ca nous a permis de regrouper une clientèle plus nombreuse à la fois, et d’augmenter un peu nos revenus. On a aussi eu l’opportunité de réaliser des banquets pour des sociétés comme le Festival Supervue, la Ville de Liège, le pôle image ou encore l’entreprise Mini Moi. «
Et même si les ateliers et banquets ne rapportent pas assez d’argent pour pérenniser son projet, ces expériences lui ont permis d’en apprendre beaucoup sur lui et sa clientèle :
» J’ai pu tester l’intérêt des Liégeois pour la cuisine africaine, et les retours étaient plus que positifs. J’ai pu aussi me tester moi, sur mes envies et mes aptitudes. Ces expériences m’ont permis de créer une première communauté autour de mon projet, un peu comme une vitrine temporaire dans l’attente d’ouvrir un jour mon propre restaurant « .
Après deux ans de travail acharné, Aris réalise finalement le grand saut lorsqu’il perd son emploi, en septembre 2019 :
« Plutôt que de me morfondre, j’ai réalisé que c’était peut être le signe pour moi d’initier les démarches pour ouvrir mon propre établissement. De toute manière, cet emploi ne me correspondait plus : plus je travaillais en cuisine, plus cette envie enfouie en moi se confirmait. C’était maintenant ou jamais « .
C’est d’ailleurs à ce moment précis que l’idée d’Afrotoria émerge dans sa tête, un concept innovant né d’un mélange des recettes de sa maman et du concept de trattoria :
« Un concept qui ancre mes valeurs, puisqu’il prône le partage et la tradition culinaire familiale, en mettant en avant les produits issus des petits producteurs « .
En octobre 2019, Aris entame alors les premières démarches pour trouver un local et réaliser un emprunt auprès des banques :
« J’avais trouvé un local, mais après de nombreux échanges, mon prêt bancaire m’a été refusé. Pourtant, tout était prêt : les papiers administratifs liés au crédit, la reprise du commerce, le bail locatif. Et finalement, un mois plus tard, tout s’est effondré. »
Le partenaire bancaire a fait marche arrière, une étape difficile à surmonter pour Aris qui n’avait à l’époque plus d’emploi et plus de sécurité financière. « J’ai démarché un tas d’autres banques, mais sans succès ». C’est à ce moment précis qu’il a pu compter sur son coach Charles Piette, et notamment Sophie Joris et Sandrine Francis du VentureLab :
» Charles assurait mes arrières, me remontait le moral. Un vrai compagnon de route. Il a été d’un soutien formidable. De son côté, Sophie Joris a réunis plusieurs coachs de l’incubateur afin de m’aider à trouver des solutions. Ils ont été voir la banque pour comprendre d’où venait le problème, et quelles pistes on pouvait mettre en place pour rebondir rapidement. «
Même si cette expérience de refus soudain fut difficile à encaisser, Aris n’en retient que des apprentissages :
« Je ne me suis jamais découragé, j’ai toujours voulu me battre. En tant qu’ingénieur, j’ai l’intime conviction qu’à chaque problème, sa solution. Parfois, il est vrai qu’il faut remuer ciel et terre pour la trouver. Et puis au final, les choses n’arrivent jamais par hasard : aujourd’hui, la création de YAKA est financée par Micro-Start et par le prêt de la Ville de Liège au travers du prêt CREaSHOP. Son ouverture a eu lieu en juin 2020, période plus propice à l’Horeca que ne l’était le mois de mars, date à laquelle j’aurais normalement dû ouvrir le restaurant. »
Malgré sa jeunesse et la situation sanitaire qui l’impacte , l’équipe de Yaka accepte la situation et fait de son mieux pour assurer un service aux Liégeois, notamment via les plats à emporter. Des plats ensoleillés, savoureux et variés que vous pouvez commander ici, en attendant la réouverture de son restaurant situé dans la rue pittoresque de la Madeleine.
Un cadre convivial et décoré avec soin, que nous avons hâte de retrouver, pour partager en famille, en couple ou entre amis ses plats traditionnels et en-cas aux couleurs de l’Afrique : samoussa, mafé au bœuf sauce Moambe, ailes de poulet marinés aux 7 épices durant 24h, pastels au thon et frites de patates douces, accompagnés d’un cocktail typique ou réinventé pour se désaltérer, tel que le Bisso na Bissap (Gin et jus de Bissap Moussap) ou le Yaka (Gin, sirop de canne et gingembre frais). Des mets confectionnés avec attention par sa sœur Pricilia, saupoudrés de la touche maternelle, qui vient ajouter le côté typique et traditionnel à la cuisine de Yaka. Et les recettes sont élaborées à partir de produits frais et sélectionnés avec soin, notamment dans des coopératives en Afrique.
Aris a des rêves plein la tête, qu’il a bien l’intention de concrétiser un jour. Repéré par son concept d’Afrotoria au-delà des frontières, Aris a deux ambitions : la première sera de suivre la demande liégeoise en adaptant son Afrotoria , et la deuxième de répliquer son modèle dans d’autres villes : « Bruxelles, Gand et pourquoi pas Paris ? »
En tout cas, nous, on lui souhaite d’atteindre ses ambitions tout en gardant son ancrage et ses valeurs, et de continuer à porter ses messages d’ouverture à toutes les personnes qui auront la chance de s’asseoir sa table.
[1]. Christian Buchet, Auteur et Directeur du Centre d’études de la Mer de l’Institut Catholique de Paris : http://www.venturelab.be/venturelab-blog/ocean-doptimisme-service-de-lentrepreneur/
[2]. Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Yaka_(peuple)#:~:text=Le%20mot%20Jaga%20pour%20les,guerriers%20du%20Royaume%20de%20Kongo.